Camille Urso : un violon comme instrument de lutte contre les discriminations 


Jouer du violon, envers est contre tous. Pour y parvenir, Camille Urso, artiste prodige, née en 1840, a dû lutter contre le sexisme dans la musique classique, durant toute sa carrière. Dans la biographie « Je suis née au son du violon » (Éd. Infimes), la journaliste Bénédicte Flye Sainte Marie, retrace le parcours hors norme de la première musicienne féministe. Entretien.

Le sexisme n’a pas de frontières. Il se joue partout, même au sein de la musique classique. Camille Urso, violoniste prodige du XIXe siècle, en a été témoin. Icône célébrée à travers le monde de son vivant grâce à son talent et sa lutte contre les discriminations, après 50 ans de carrière, elle est retombée dans l’oubli. Dans une biographie légèrement romancée, Je suis née au son du violon (Éd. Infimes) la journaliste Bénédicte Flye Sainte Marie lui rend ses « notes » de noblesse et questionne la place des femmes dans l’histoire musicale, d’hier à aujourd’hui.

Camille Urso, violoniste prodige et militante

Camille Urso : une violoniste prodige et féministe dans l’âme

« C’est au cours de l’une de mes multiples lectures que j’ai découvert l’histoire de Camille Urso. Son portrait est brossé dans le livreGabriële, d’Anne et Claire Berest, qui est une biographie de leur arrière-grand-mère, épouse du peintre Francis Picabia. Son parcours époustouflant a éveillé ma curiosité. Née le 13 juin 1840 à Nantes, cette violoniste française prodige a été la première femme admise au Conservatoire de musique de Paris dans une classe de violon à seulement 9 ans. Elle est aussi une des rares artistes à s’être exportée aux États-Unis à son époque. Et durant ses cinquante années de carrière constellée d’honneurs et de succès, elle n’a cessé de se battre contre les mœurs de son temps, pour que le talent des musiciennes soit reconnu », nous explique Bénédicte Flye Sainte Marie.

L’engagement de la violoniste en faveur des musiciennes lui a donné envie d’en connaître davantage sur son destin. À travers sa biographie très documentée, l’autrice revient également sur la bataille intemporelle des femmes.

Camille Urso, la porte-voix qui a fait valser les conventions

« Cela peut paraître étonnant aujourd’hui, mais la première lutte de Camille Urso réside dans le fait de jouer du violon au milieu du XIXe siècle, où la place des femmes était à la maison. Sans compter le fait que cet instrument était réservé aux hommes, car considéré comme « viril » et non compatible avec la réserve que devait avoir les femmes », pointe l’autrice. Contrairement au piano, pratique bourgeoise encouragée chez les jeunes filles, jouer du violon était jugé dégradant, voire indécent.  

En faisant valser les conventions, et grâce à son talent, sa détermination et son travail acharné, elle est parvenue à s’imposer dans cet univers masculin et a continué à jouer, une fois mariée. « Par son exemple, toutes les institutions musicales ont ensuite ouvert leurs portes aux filles. Après de nombreux bastions liés à son genre conquis, elle s’est servie de sa notoriété pour défendre la cause féminine et les discriminations envers les femmes dans la musique. Dans un célèbre discours tenu au World’s Congress of Representative Women, lors de l’Exposition Universelle à Chicago en 1893, elle a plaidé pour que les jeunes femmes soient enfin embauchées dans les orchestres. Car, jusqu’ici, elles étaient formées, mais non recrutées par les directeurs d’orchestres. Elles étaient jugées trop faibles physiquement pour tenir le rythme des répétitions et pouvaient être source de distraction ou potentiels éléments perturbateurs pour la gent masculine. Camille Urso s’est aussi engagée pour l’égalité salariale. La militante a ensuite malheureusement subi l’âgisme, avant de tomber dans l’oubli », regrette la journaliste.

Camille Urso : une biographie pour dire stop à la mentrification et à l’autocensure

« Cette biographie est un moyen de rendre hommage et justice à Camille Urso, tout en dépeignant la vie de l’époque. Elle m’a aussi permis de m’inscrire dans un mouvement général consistant à sortir de l’anonymat les protagonistes féminines dans la musique. À l’instar de nombreuses artistes, autrices ou encore scientifiques, elles ont été acclamées de leur vivant, puis sont tombées dans l’oubli », déplore-t-elle. À travers cet ouvrage, la journaliste souhaite ainsi mettre un terme à la mentifrication, phénomène d’invisibilisation des femmes dans l’Histoire.

« Si aujourd’hui, la situation au sein de la musique classique n’est plus comparable, cet univers reste encore machiste. C’est assez paritaire dans le violon, même si les instruments à vent demeurent très majoritairement l’apanage des hommes (et la harpe des femmes) », pointe Bénédicte Flye Sainte Marie. Mais il n’y a par exemple que 10 % de cheffes d’orchestre femmes. Quant aux orchestres, ils sont composés de 38 % de femmes et de 62 % d’hommes, d’après l’Association française des orchestres.

« Beaucoup de professions sont encore très genrées, il est temps que les jeunes filles arrêtent de s’autocensurer »

Bénédicte Flye Sainte Marie

Et de conclure : « Beaucoup de professions sont encore très genrées, il est temps que les jeunes filles arrêtent de s’autocensurer en se disant : « Ce métier ou cet art n’est pas fait pour moi, car je suis une femme ». Dans certaines branches, la lutte sera peut-être plus âpre que d’autres, mais il ne faut pas lâcher. Le rêve artistique d’une petite fille équivaut à celui d’un garçon et n’est « pas une lubie, ni un caprice, ni un fait rare, encore moins une nouveauté », comme le revendiquait si bien Camille Urso. Un enfant ne doit pas renoncer à ses aspirations, fautes de modèles ou d’encouragements ».

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